Avec plus de 200 lettres et documents divers (no 864-1070), y compris des prières, cet avant-dernier tome de la correspondance du pasteur Jean-Frédéric Oberlin (1740-1826) couvre la période qui va de 1811 à 1819.
Oberlin, désormais sexagénaire, connaît en février 1811 une alerte très sérieuse (une "violente pleurésie" selon Jean Frédéric Claude, no 867, p. 28, n. 28). Il se plaint de plus en plus non seulement de son labeur incessant ("ce qui me peine le plus, c'est la quantité innombrable de travaux, dont je suis assailli et accablé de toutes part", no 869, p. 30), mais encore de sa santé et de son âge. C'est sans doute pour cette raison que, le 2 avril 1811, il rédige un testament qui confie aux soins de ses enfants Louise Scheppler, "ma fidèle garde, celle qui vous a élevés, l'infatigable Louise " (no 871, p. 32). Or, à lire Louise Scheppler écrivant à l'une des filles d'Oberlin, " il se porte bien, Dieu en soit loué, pour son âge. Il continue ses fonctions et ouvrages comme à l'âge de 50 à [sic] 60 ans " (no 893, p. 66).
De fait, durant cette décennie, Oberlin poursuit inlassablement son action pastorale et éducative indépendamment des changements politiques et il a le bonheur de vivre quelques succès significatifs. Ainsi, dès 1812, grâce à l'intervention du préfet du Bas-Rhin, Adrien Lezay-Marnésia, qui lui témoigne une vive estime, le procès concernant la propriété des forêts du Ban-de-la-Roche se termine à son avantage. Ce même Lezay-Marnésia adresse vers la fin de 1812 à Oberlin, qui en est un "zélé défenseur", un rapport sur les vaccinations dans le Bas-Rhin (no 924, p. 113 sq.). En 1814, Oberlin se voit accorder, en récompense de son "dévouement au Roi [Louis XVIII]", la décoration de la Fleur de Lys (no 951, p. 153; no 958, p. 159). Quelques années plus tard, à la fin de 1819, le Roi le nommera chevalier de la Légion d'Honneur (no 1059 à 1061, p. 364-369). En 1815, afin de prévenir les villages des pillages et des représailles des puissances alliées contre la France, Oberlin prie fermement les préposés de Bellemont et de Bellefosse de rassembler et de déclarer armes et poudre: "Soyez fermes et sévères comme des lions. Le repentir viendrait trop tard" (no 966, p. 171).
En 1816, la Société royale et centrale d'agriculture reçoit un rapport détaillé sur son action dans les domaines de l'instruction primaire, de l'agriculture et de l'industrie (no 980, p. 191-200); toutefois, ce n'est que deux ans plus tard qu'elle décide de lui accorder la médaille d'or pour ses services "rendus à l'humanité et à l'agriculture dans le Ban de la Roche" (no 1025, p. 295; cf. no 1027, p. 308 ; no 1030, p. 316-325, où Oberlin est présenté comme un "miracle de vertu"). Entretemps, au début de 1817 et suite aux mauvaises récoltes de l'année précédente, Oberlin est contraint d'appeler à l'aide le Directoire de l'Église de la Confession d'Augsbourg; les luthériens de la région viennent au secours de leurs "frères du Ban de la Roche [qui] sont prêts à succomber à la famine" (no 999, p. 252; cf. no 1001, p. 255 sq. et no 1004, p. 261).
C'est en 1816 que, en lien avec la Société biblique britannique, est créée la Société biblique de Waldersbach (voir no 984, p. 210-212; no 986, p. 214-223); dès lors, des Bibles sont distribuées en grand nombre dans toute la France à partir du presbytère d'Oberlin (voir ainsi no 993, p. 239-243). Auparavant, Oberlin achetait quantité de Nouveaux Testaments et de Bibles en français chez le libraire parisien d'origine strasbourgeoise Jean Georges Treuttel (voir no 892, p. 65). C'est après une tournée "biblique" dans le sud de la France que Henri Gottfried, fils d'Oberlin, décède le 15 novembre 1817 (voir no 1017, p. 282). La visite que John Owen, secrétaire de la Société biblique britannique, fait à Oberlin du 11 au 14 septembre 1818 nous vaut une belle description de l'action et de la personnalité du patriarche (no 1040, p. 336-340).
La correspondance des années 1811-1819 est riche en informations sur l'œuvre éducative d'Oberlin et de ses conductrices: à Jean Laurent Blessig il rapporte, le 8 avril 1811, comment une conductrice, envoyée dans un hameau où certains enfants ne connaissaient que l'allemand alors qu'elle n'en savait pas un mot, est parvenue, grâce aux enfants patoisants, à leur enseigner des histoires en français (no 874, p. 38 sq.); c'est à Blessig également qu'Oberlin transmet des informations sur sa catéchèse ("Kinderlehre", no 880, p. 48 sq.), qu'il se garde de fonder sur la contrainte. Le rapport qu'Oberlin fait en 1816 sur l'instituteur Nicolas Claude, en poste à Waldersbach depuis 1801, renferme quant à lui d'utiles informations sur l'instruction primaire, depuis l'enseignement de l'alphabet jusqu'à l'inspection hebdomadaire des écoles de la paroisse par le pasteur (no 988, p. 225-227).Oberlin récompense les comportements civiques de ses paroissiens (ainsi, le fait de couvrir de terre ou d'"autre litière" toute "ordure humaine") par des dons d'ouvrages religieux et de recueils de cantiques, ainsi que de vêtements et d'outils; sont toutefois exclus des bénéficiaires "ceux qui suivent les nouvelles modes, soit pour les cheveux des femmes, soit pour l'habillement des hommes et des femmes" (no 906, p. 88; cf. no 919, p. 105 : "[...] de partager les cheveux sous le bonnet, de ne pas peigner les cheveux assez en arrière, de porter des corcelets trop courts, etc."). Le souci de la vêture "décente" et la lutte contre le "luxe" ou "quelque nouvelle mode" se retrouvent dans le Règlement de l'aumône qu'Oberlin rédige le 14 juin 1818 (no 1035, p. 331 sq.). Il y fustige aussi les "coureurs de fêtes ou danses" et ceux qui "font jetter les cartes". Dans le domaine pastoral et théologique, signalons les deux dessins qu'Oberlin - qui continue par ailleurs de s'intéresser aux cas de possession (no 865, p. 23-26) - a réalisés le 4 mars 1818, et qui représentent respectivement l'"image du cœur qui est le temple du Saint-Esprit" et l'"image de l'Intérieur d'un homme qui sert le péché et se laisse dominer par Satan" (p. 312-315). On ne sera guère surpris que le premier témoigne "activité et zèle puisé dans l'amour de Dieu et des humains", tandis que le second, comme l'escargot, se caractérise par sa "paresse", sa "froideur", sa "lenteur" et sa "tiédeur".
Comme dans les volumes précédents, l'annotation est sobre mais toujours pertinente, et chaque lettre allemande ou française est précédée par un résumé dans l'autre langue. Une liste chronologique des lettres et autres textes (p. 11-17), une liste des correspondants (p. 18-20) et deux index (Bible, p. 385 ; personnes, p. 387-398) facilitent la consultation de cette édition de référence.
Matthieu Arnold
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