L'un des préjugés les plus tenaces dans l'esprit du quidam fait passer le Moyen Âge comme une
période de déclin, plongeant l'Occident dans les ténèbres de l'ignorance; image d'Épinal bien sûr, encore véhiculée par certains
médias grand public. Cet ouvrage collectif, fruit de l'International Meeting tenu à l'Université de Lisbonne en octobre 2011,
entend fournir des études de cas destinées entre autres à pourfendre ce préjugé en mettant en lumière le travail médiéval de
préservation et de transmission des connais-sances culturelles et scientifiques antiques. Nonobstant l'optimisme de la préface,
l'on doute que cet objectif général ait été atteint dans sa plénitude. - C. Codoñer, dans Los glosarios hispánicos y su posible
relación con el Liber Glossarum (p. 11-39), discute de l'élaboration du Liber Glossarum [LG] et de ses relations avec le (les)
document(s)-source(s) ainsi qu'avec les glossaires ibériques et/ou wisigothiques sur la base d'une com-paraison minutieuse des
différents lemmes et entrées. C. Codoñer conclut en remarquant que le LG n'est pas l'unique source ayant influencé les glossaires
postérieurs. La réflexion se borne donc à des questions techniques d'organisation du savoir lexical. - L. Pirovano, dans Sicut M.
Tullio placet. Scuola (tardo)antica e scuola medievale nell'opera di Emporio (p. 40-73), s'efforce de déterminer par quelles traditions
les quatre chapitres rhétoriques (De ethopoeia, Praeceptum de loco communi, Praeceptum demonstratiuae materiae et Praeceptum deliberatiuae)
attribués à l'obscur rhéteur Emporius (ca. IVe- Ve siècle p. C. n.) nous sont parvenus et à quelle(s) fin(s) ils ont été conservés.
Les trois premiers appartiendraient à un ouvrage progymnasmatique d'exercices rhétoriques tan-dis que le quatrième serait extrait d'un
manuel complet de rhétorique à destination de lecteurs imprégnés de culture latine comme le suggère notamment la proximité du pro-pos
avec Cicéron et Quintilien. La contribution se limite à comprendre le plan et les influences ainsi que la tradition manuscrite du
Praeceptum deliberatiuae. - d. Paniagua, dans Lessicologia e terminologia agrimensoria in un testo scolastico tardoantico. IlCommentum
dello pseudoAgennio Urbico (p. 74-103), insiste sur la volonté didac-tique du pseudo-Agennius Urbicus d'expliquer dans son commentaire,
à l'instar des gromatici ueteres, les termes techniques relatifs à l'arpentage des terres, discipline utilisée dans l'apprentissage
de la géométrie du quadriuium. Les procédés lexicologiques utilisés par l'auteur du commentaire sont successivement exposés et exemplifiés:
l'étymologie, a définition, l'explication par un exemple type ou l'énumération des espèces, l'équiva-lence par l'identification ou la
glose et la différenciation entre termes proches apparte-nant à un même champ lexical. d. Paniagua conclut que la compréhension de la
langue demeure le premier niveau d'accès au savoir, et partant, de sa correcte transmission. -L. Cristante, dans Appunti su Pseudo
Censorino frg. 911 (con una proposta di edizione)(p. 104-119), établit une édition critique, préalable à un travail plus ambitieux,
des chap. 9-11 de l'œuvre fragmentaire du pseudo-Censorinus que l'on séquence en trois parties (cosmo-graphie et astronomie; arithmétique;
métrique et musique) et identifiée comme indépen-dante de Censorinus par Louis Carrion, humaniste flamand du XVIe siècle. - M. Gioseffi,
dans " Introducing Virgil " : forme di presentazione dell'Eneide in età tardoantica(p. 120-143), étudie diverses traditions manuscrites
d'époque tardo-antique et médiévale qui offrent une introduction à l'Énéide de Virgile en se demandant si de telles œuvres peuvent être
considérées comme une forme de transmission du savoir et servent effecti-vement à introduire Virgile dans une optique pédagogique. - M. Squillante, dans La voce degli animali tra onomatopea e imitazione (p. 144-157), étudie les mots utilisés pour
désigner les cris d'animaux chez quelques auteurs de l'Antiquité tardive comme Ausone, Eugène de Tolède et Sidoine Apollinaire en les
rapprochant de Lucain, Virgile, Horace et Ovide. L'analyse essentiellement littéraire adoptée rend ténu le lien avec la probléma-tique
générale de l'ouvrage collectif. - G. Polara, dans Memmio Simmaco e il teatro(p. 158-176), détaille les justifications invoquées dans
les Variae de Cassiodore pour la restauration à Rome d'un édifice païen dédié au spectacle, qui n'est autre que le théâtre de Pompée,
par Memmius Symmachus sous l'empereur chrétien Théodoric. L'on salue l'extension de la problématique de l'ouvrage collectif au souci
de préservation d'un monumentum architectural pour la postérité durant l'Antiquité tardive. - P. F. Alberto, dans King Sisebut's Carmen
de luna in the Carolingian school (p. 177-205), étudie la tradition manuscrite du poème astrologique Carmen de luna attribué au roi
wisigoth Sisebut (ca. 612-621) et traitant d'une éclipse lunaire, ainsi que de sa réception dans les milieux carolingiens. - V. von Büren,
dans La transmission du de moribus du ps. Sénèque, de Winithar de S. Gall à Sedulius Scottus (p. 206-244), précise sur la base de l'étude
des variantes textuelles des manuscrits les plus anciens la transmission manuscrite du De moribus attribué à Sénèque, c'est-à-dire d'une
des principales collections latines de proverbes, à côté des Sententiae de Publilius Syrus, des Disticha Catonis et de la collec-tion
attribuée à un Caecilius Balbus. - M. Reeve, dans Excerpts from Pliny's Natural History (p. 245-263), étudie la tradition manuscrite des
extraits de la Naturalis Historia de Pline l'Ancien, en reprenant les quatre catégories d'extraits dressées parK. Rück à la fin du XIXe
siècle et au début XXe siècle, les citations de Pline par Bède le Vénérable, deux extraits du livre 18 édités par A. Borst (Veroneser Jahrbüchlein)
et les extraits présents dans la Scholia Strozziana sur la version du Germanicus du poème astronomique d'Aratus. - R. Furtado, dans Isidore's
Histories in the Mozarabic scholarship of the eighth and early ninth centuries (p. 264-287), étudie la tradition manuscrite indirecte des
Histoires d'Isidore de Séville représentée par trois textes originaires de l'environnement culturel mozarabe: la Chronique byzantinoarabe,
la Chronique mozarabe et l'Ordo gentis Gothorum. - A. Andrés Sanz, dans Tres notas sobre la Epistola ad Grimaldum abbatem de Ermenrico de
Ellwangen y el contexto cultural de su redacción(p. 288-312), étudie trois aspects (transmission, extension et contenu) de cette curieuse
lettre d'Ermenric d'Ellwangen (IXe siècle) à l'abbé de Saint-Gall, en se focalisant sur l'une de ses sources: le livre II des Differentiae
[Diff. II] d'Isidore de Séville. L'auteur tente de préciser le contexte de production de l'epistula en déterminant quel état du texte des
Diff. II a eu Ermenric à sa disposition; en prenant en considération l'utilisation savante des Diff. II entre les VIIIe et IXe siècles;
enfin, en caractérisant dans l'epistula le recours aux Diff. II en relation avec les usages scolaires des milieux érudits contemporains.
Il doit être remarqué qu'il s'agit d'une des seules contributions de cet ouvrage collectif à ne pas se limiter à l'étude de la seule
tradition manuscrite, mais à la relier à d'autres perspectives d'analyse. - A. Nascimento, dans Gramática no claustro. Regresso aos manuscritos de Alcobaça em revisitaço?s filológicas
(p. 313-332), souligne l'impor-tance, la richesse et la vitalité de l'Ars grammatica dans l'enseignement de tradition médiévale
en Europe occidentale et plaide pour une étude transdisciplinaire des théories grammaticales médiévales. L'auteur accorde aussi
une attention particulière à la postérité de l'œuvre du célèbre grammairien Aelius donatus et illustre son propos en établissant
une liste des manuscrits provenant du monastère d'Alcobaça. L'engagement d'essayiste dont fait preuve l'auteur réaffirme la maîtrise
de la langue comme un accès primordial à la connaissance, mais aussi comme un moteur d'unification textuelle, civique et humaniste. -
Cet ouvrage collectif se distingue par la place prépondérante accordée à l'ecdotique des textes étudiés. À la lecture de la préface,
on espérait interroger la transmission du savoir intellectuel hérité de l'Antiquité classique à l'époque charnière de l'Antiquité
tar-dive et du haut Moyen Âge. L'on se retrouve en réalité avec un ensemble de treize études de cas autonomes au sein desquelles l'étude
philologique de la tradition manuscrite des textes réside au cœur des considérations, en outrepassant à l'occasion la période
historique annoncée dans le titre. davantage que d'histoire, l'ouvrage traite d'érudition académique. Par conséquent, il s'adresse
plutôt à des spécialistes qui ne seront pas découragés par la lecture ardue de l'établissement et de la révision des stemmata codicum
et des questions pointues d'érudition tardo-antique et médiévale. Loic Borgies
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