Hans-Christian Günther, Juan Martos, Rosario Moreno Soldevila (EDS.)

LA TRADICIÓN ERÓTICA EN

LA POESÍA LATINA TARDÍA

Studia Classica et Mediaevalia, Band 17

Rezension


L'idée de ce volume est séduisante ; comme le rappellent les éditeurs dans leur introduction (p. 7-11), il s'inscrit dans une série de travaux sur la poétique amoureuse qui a vu paraître le Diccionario de motivos amatorios en la literatura latina (R. Moreno Sol- devila (ed.), Huelva, 2011) et le volume Amor y sexo en la literatura latina (R. Moreno Soldevila / J. Martos (ed.), Huelva, 2014). Ce volume-ci est le fruit d'un colloque tenu à Séville en 2015, et explore la thématique amoureuse dans la période tardive de la poésie latine, en approfondissant la dialectique tradition / innovation, si importante en littérature antique. Il faut noter que nous n'avons pas d'équivalent pour la période classique de la poésie latine (la matière serait d'ailleurs immense). On pourrait toutefois regretter que l'ensemble laisse une impression de disparité, à plusieurs niveaux: la thé- matique " érotique ", très large et non définie, demeure un peu lâche, sans qu'on puisse faire une réelle synthèse; les contributions hésitent parfois entre recherche et vulgarisation; la fourchette chronologique est également très (trop ?) large (plus de quatre siècles); les genres littéraires sont variés, ce qui certainement enrichit le volume, mais le prive aussi de fil directeur clair. Au final, nous avons une suite de huit textes, sur autant d'auteurs et de corpus différents, classés chronologiquement, et sans réel lien entre eux. S'il y a encore beaucoup à dire sur le sujet, l'ensemble demeure agréable à lire, et pourra promouvoir des textes moins connus que ceux de la période classique. R. Moreno Soldevila (" El amor y la edad en las Églogas de Nemesiano ", p. 13-35) étudie la thématique amoureuse dans trois des quatre Bucoliques de Némésien (III. siècle), et souligne les relations qu'elles entretiennent avec d'autres genres littéraires. Si le début de la première Bucolique, fortement marqué par la dixième Églogue de Virgile, crée un lien programmatique entre jeunesse, amour et poésie, la seconde forme un chant amébée où s'épanchent deux jeunes bergers amoureux de la même fille (par imitation de Calpurnius, Buc. 2) ; son prologue est marqué par divers échos génériques, comme l'éducation sentimentale, thème du roman pastoral, ou la perte de la virginité, qui renvoie à Catulle ou à Ovide.

Dans la quatrième Bucolique, autre chant amébée, Lycidas chante son amour pour un garçon: au-delà de l'intertexte tibullien, le furor amoureux renvoie à l'élégie, de même que l'érotodidaxis, alors que le thème de la future pilosité de l'aimé renvoie plutôt à l'épigramme grecque et latine. En conclusion, l'auteur souligne l'originalité de Némésien dans sa capacité à mêler des motifs amoureux issus de différents genres littéraires - une qualité qu'on lui a souvent refusée - et la finesse psychologique, dans un jeu présent / passé, où les amours malheureuses deviennent des souvenirs heureux. S. Mattiacci (" Le prefazioni della Bissula di Ausonio: nuove strategie difensive per una raccolta di versi leggeri (ed erotici) ", p. 37-59) s'intéresse aux préfaces de la Bissula d'Ausone, recueil épigrammatique incomplet sur une jeune esclave souabe. Pour la préface en prose, elle analyse les postures du poète: réticence à publier son ouvrage, modestie à travers le terme poematia, mise en valeur du dédicataire Axius Paulus, et elle rejette la lecture crypto-priapique de Drägner. Pour la première préface en vers, elle souligne l'auto-représentation du lusus poétique, par souvenir catullien, et les agaceries adressées au même destinataire, à travers un lexique qui rappelle celui de la comédie. Quant à la seconde préface en vers (originellement dans une Lettre d'Ausone, p. 39), elle est faite d'échos bien connus à Martial (1,4) et aux Priapées (1), et définit également l'œuvre comme libellus et schedium (improvisation). S'il est toujours plus question de posture auctoriale que de thématique amoureuse, on peut retenir l'analyse de la référence aux songes, dans cette dernière préface, comme prudence de l'auteur et dissociation de sa projection littéraire.

Noter que la traduction en français de ce même texte est parue sous le titre Le tenuis libellus pour Bissula d'Ausone: rhétorique du " petit " et de l'" improvisation " pour un cycle de vers compromettants, in D. Meyer / C. Urlacher-Becht (ed.), La rhétorique du " petit " dans l'épigramme grecque et latine, Paris, 2018, p. 205-222 (voir les p. 864-867 de ce fascicule). L'article de G. Laguna Mariscal (" Erotismo de aparato: la temática amatoria en la poesía epitalámica de Claudiano ", p. 61-95) commence par une introduction à l'œuvre de Claudien et son contexte historique qui sera utile à ceux qui ne connaissent pas ce poète (p. 61-70) (il faudrait ajouter à la bibliographie l'ouvrage de M.-F. Guipponi-Gineste, Claudien, poète du monde à la cour d'Occident, Paris, 2010). Il se poursuit par la lecture suivie des thématiques amoureuses dans l'Épithalame d'Honorius (10) (p. 72-82), avec les principaux échos intertextuels (surtout ceux de Stace), puis une lecture des quatre poèmes fescennins composés pour la même occasion (p. 83-88). Si les analyses sont brèves, les conclusions sont intéressantes; l'auteur s'interroge sur le rôle des référents mythologiques pour des noces chrétiennes: au-delà des éléments littéraires convenus, il faut y voir une volonté de se rattacher à d'anciennes traditions romaines, littéraires mais aussi sociétales, afin de légitimer tant l'empereur Honorius que son beau-père Stilichon. Il y a donc ici des intentions de propagande politique immédiate qu'on ne trouve pas ailleurs dans la tradition de l'épithalame latin. F. Socas (" Realidad y simbología de la rosa en algunos poemas de la Anthologia Latina ", p. 97-141), à qui l'on doit l'unique traduction en langue moderne des deux volumes de l'Anthologie Latine par Riese (Madrid, 2011), commence son article par un rappel des symboliques de la rose en littérature gréco-latine (p. 97-111).

Il présente ensuite une série de textes tardifs mettant en scène la rose, issus de l'Anthologie de Saumaise ou d'ailleurs, dans l'ordre: p. 102 : Dracontius, De origine rosarum (cf. maintenant A. Stoehr-Monjou,Une épigramme étiologique et érotique de la latinité tardive : Dracontius, De origine rosarum, in H. Vial (ed.), Vénus-Aphrodite et ses enfants: une mère problématique, Paris, 2014, p. 153-171); p. 112: AL 2 R (Amans amanti); p. 114-119: la séquence AL 84-87 R ; p. 120-122: AL 200,13-26 R (Peruigilium Veneris) ; p. 123-124 et 126: AL 286,45 R (Énigmes de Symphosius; cf. aussi T. J. Leary, Symphosius, The Aenigmata: An introduction, Text and Commentary, London / New York, 2014) ; p. 125 : Dracontius, Rom. 7,49-54 ; p. 127: AL 481, 34 R (Énigmes de Berne) ; p. 128 : CLE 1040,1-4 ; p. 129: AL 356 R (Luxorius) ; p. 130 : AL 34 et 20 R (cf. D. Vallat, Entre érotisme, symbolisme et poétique des ruines : les ecphrasis de Vénus dans l'Anthologie Latine (20, 34, 356 R), in F. Garambois / D. Vallat (ed.), Le lierre et la statue. La nature et son espace littéraire dans l'épigramme gréco-latine tardive, Saint-Étienne, 2013, p. 83-104) ; p. 131: AL 390 R ; p. 132: AL 366 R (Luxorius) ; p. 133-134: une épigramme que Burmann (5,217) a empruntée au commentaire de De La Cerda à Virgile; enfin quelques textes médiévaux et plus récents. H. Kaufmann, (" Images of Love in Dracontius ", p. 143-160) répertorie les différentes formes d'amour chez Dracontius selon un classement par acteur et/ou type d'amour : l'amour parent / enfant (en particulier dans l'Orestie et Romul. 8) ; l'amour " romantique ", qu'en fait on peut classer avec le premier type, car il est question du topos de la tigresse privée de ses petits (Romul. 8 et précédents littéraires); le désir sexuel sous divers aspects, dont l'adultère (Orest.; Rom. 6, 9, 10); les amours contre-nature (différences d'âge ; inceste); l'amour-amitié avec le duo Oreste-Pylade (qui possède d'ailleurs une longue tradition littéraire à peine esquissée ici) ; l'amour entre Dieu et les hommes (Laud. Dei); l'amour pour des concepts abstraits comme la gloire ou la liberté ; l'amour comme principe universel (Romul. 10). M. Librán Moreno (" La multiplicidad genérica de Aegritudo Perdicae a la luz de la literatura griega ", p. 161-200) émet des hypothèses fort intéressantes sur les sources premières de l'Aegritudo Perdicae, poème anonyme peut-être contemporain de Dracontius, à savoir les précédents grecs de cette histoire d'un jeune homme qui, par vengeance de Vénus, tombe amoureux en rêve d'une femme qui se révèle être sa mère (qu'il ne connaissait pas), et qui préfère se suicider pour tuer l'Amour avec lui. Sans prétendre que ces références ont été les sources directes du poète, l'auteur retrouve le schéma de cette histoire dans celle d'Antiochos et Stratonicé, qui a connu diverses variantes dans les personnages jusqu'à Lucien. Elle étudie ensuite des échos entre la poésie hellénistique et l'Aegritudo (en particulier des schémas et motifs issus des Argonautiques d'Apollonios de Rhodes), suppose l'existence d'un poème épique à sujet macédonien (peut-être un de ceux - perdus - écrits par Aratos de Soles), souligne le rôle des compilations d'histoires (comme celle de Parthénios de Nicée) dans la transmission des sujets poétiques de Grèce à Rome, et interroge la dimension proprement tragique du poème (avec l'influence de l'Hippolyte d'Euripide) : s'il est peu probable que les textes grecs aient été connus dans la Carthage vandale, ils ont malgré tout pu influencer le poète anonyme via des intermédiaires latins. J. Martos (" Arte y pornografía en los epigramas de Enodio: Pasífae y el toro ", p. 201-212) présente les épigrammes d'Ennode consacrées au fameux épisode de Pasiphaé et du taureau, principalement des ecphrasis (2,25-29-30-31) où se retrouve le topos de l'art qui anime les figures, mais aussi l'épigramme 2,103, analysée en détail, la seule où des problèmes de transmission textuelle rendent l'interprétation délicate. J. L. Arcaz Pozo (" El relato de los amores de Maximiano y el código de la elegía ", p. 213-244), sans aborder la ques- tion de la date de l'œuvre, étudie de quelle manière Maximien, qui toujours met en scène et déplore sa vieillesse, reprend ou détourne les topoï du code élégiaque, dans les élégies 2 (sur Lycoris, avec, entre autres, le thème de la belle vieille, exceptionnel à Rome, mais avec des précédents dans l'épigramme grecque), 3 (consacrée à Aquilina), 4 (Candida) et 5 (une puella grecque anonyme ; l'auteur y voit une forte influence catullienne). Une bibliographie (p. 245-260) et deux index (p. 261-298) concluent le volume.

Daniel Vallat


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