Paolo Fedeli

PROPERZIO

ELEGIE
Libro IV

Commento di
Paolo Fedeli, Rosalba Dimundo, Irma Ciccarelli

Studia Classica et Mediaevalia Band 7/ I + II

Rezension


Cette volumineuse édition commentée du livre IV des Élegies de Properce repose sur l'utilisation critique de l'édition oxfordienne de HEYWORTH (2007), avec quelques "désaccords", recensés p. 135-140. Le texte reproduit des onze élégies est à chaque fois précédé d'un rappel de toutes les éditions commentées (depuis la fin du XIXs). Une très copieuse bibliographie internationale précède l'ensemble, intégrant les Edizioni e commenti citati depuis 1487 (p. 7-64). On lui reprochera seulement de négliger les travaux sur Mécène, même ceux d'AVALLONE: on y reviendra pour l'orientation générale du commentaire "littéraire" sur l'esthétique augustéenne. L'introduction n'appelle pas de critique pour la datation proposée, vers -15 (p.66). On adhérera au souci de maintenir l'idée d'une structure "organisée" du livre, autour de l'élégie VI, et d'une "alternance" entre la dominante lyrique et la dominante "antiquaire" (p. 68 sqq.), l'élégie "initiante" (IV.1) étant un "chant unitaire". L'intervention fictive de l'hospes sert bien de caution à la veine "étiologique", mais l'inspiration amoureuse reparaîtra avec Cynthia. Il est exact que le prélude de IV.1 reflète une "duplicité", signe d'une tension entre la poésie étiologique et la thématique amoureuse du livre III (p. 77). Recusatio du lyrisme amoureux des livres I-III, au profit d'une élégie "étiologico-patriotique" (p. 78-79)? Certes. Mais il faudrait aussi analyser les multiples "récusations" du grand lyrisme, qui précèdent la conversion au "programme national". L'analyse du débat de Properce avec le mécénat et l'idéologie augustéenne sera présentée tardivement (p. 120 sqq.), avec d'utiles remarques sur le "protectorat" du prince et sur les limites de la "propagande" (p. 128-129). C'est ici qu'on regrettera de trouver un traitement purement thématique, et non "dialectique", de ce problème capital de l'estétique augustéenne en gestation: le débat est permanent avec Horace et Virgile - il a été très bien cerné par Ph. LE DOZE (2014). Même remarque pur le "callimachisme", si bien étudié dans le débat contemporain, par W. WIMMEL: alors que les moindres fragments sont scrutés avec soin dans le commentaire, la synthèse, absente de l'introduction, paraît bien courte dans les p. 155-156 (en marge de l'élégie IV.1). La dimension "antiquaire", très sensible dans l'ecphrasis de Vertumne (p. 83 sqq.) ne doit pas éclipser totalement la malice possible d'un badinage adressé à l'"Étrusque" Mécène. De surcroît, on aimerait trouver une synthèse sur l'apport de l'archéologie nationale et des "antiquaires": les abondantes références au Tite Live de la première décade et à Varron y incitaient. La Rome des origines, pure, frugale et virile, transparaît à chaque instant, comme repoussoir de la Rome de marbre contemporaine, mavec ses templa aurea: le caractère central de IV.6, à la gloire de l'aedes Apollinis, a été relevé judicieusement (p. 100), quoique la naissance du mythe refondateur d'Actium, que le Commentaire dégagera, soit ici, comme dans les p. 128-129, sous-évaluée.

La présentation initiale des pièces est rigoureuse et axée sur un historique très complet des recherches portant sur la "structure". Dans l'élégie I, les rapprochements avec le Virgile de l'Ènéide VIII, avec Tibulle et Ovide, illustrent bien la curiosité archéologique pour le Palatin rustique et pastoral des origines, sous-jecent à la Rome "dorée": ses interférences avec la topographie romuléenne sont bien analysées, par ex. p. 178 sqq. Les discussions de détail en marge de la paléographie, par ex. bubus/tutus du v. 8, sont probantes; il enva de même de quod/quo au v. 9; les remarques institutionnelles, par ex. sur les comitia (p. 185-186), sont précises et justes, tout comme l'archéologie du spectacle romain des v. 15-16; même remarquepour les compitalia, confrontés avec la science des antiquaires (p. 192 sqq.) et, ultérieurement, pour le rituel antique du triomphe. Dans tout le commentaire de cette élégie, l'auteur montre une parfaite connaissance des plus récentes recherches sur la topographie primitive, confrontées avec la discussion critique des sources gréco-romaines (ici, on adhérera, v. 33, à la correction Bovillae). Dès le commentaire de l'élégie I, on note le souci des commentateurs de conjuguer toutes les sources poétiques gréco-romaines probantes - surtout le "callimachisme" - avec l'histoire religieuse: cette dernière apparaîtra pour l'aedes Apollinis de IV.6, et en général la mythographie du dieu ne se dissocie pas, comme dans les Hymnes, ou dans les Fastes d'Ovide ultérieurement, de l'histoire du temple et de ses sacra. L'élégie II, consacrée à Vertumne, s'éclaire par toute une érudition étruscologique (p. 398 sqq.), et le commentaire insiste à juste titre sur l'étiologie du uicus Tuscus (v.50), avec de judicieuses remarques lexicographiques sur le couple Tuscus/Etruscus (p.413). On regrettera toutefois de ne pas voir poser à ce propos le problème, récurrent dans le lyrisme augustéen, de l'atavisme étrusque de Mécène, plus présent dans le livre IV que ne le croient les commentateurs.

L'élégie III, avec l'"épître", du type des Héroides, de l'amante Aretusa à Lycotas qui l'a abandonnée pour l'aventure militaire orientale, atteste certes le "tournant" du livre IV (p.507), l'accent mis sur l'éternel féminin. Les auteurs ont bien relevé que la fiction élégiaque est teintée de romanité: du souci d'insérer la passion dans les Romani mores, surtout dans la fides conjugale, et, plus encore, dans la trame de la politique "impérialiste" contemporaine (d'où la récurrence du péril parthe, conjuré en - 16, après la restitution des einseignes; cette dernière sera explicitée pour IV.6, avec les références bien connues, p.891). Les auteurs ont bien discerné les interférences du lyrisme et du "politique", dominées par l'antimilitarisme littéraire des Élégiaques - évoqué dans l'Introduzione. Je renverrai à mon Otium... (1996), p. 403 sqq.

Le problème du pacifisme et du bellicisme "juste" (voir les remarques des p. 865-866 sur IV.6.51-52) domine la poésie augustéenne. La longue introduction à IV.4 (le drame de Tarpeia, p. 595 sqq.) élucidera l'exploitation des sources annalistiques et "antiquaires", et même de l'iconographie, orientée par la propaganda (p.607). Le lien étiologico-étymologique avec le Capitole est très bien souligné. Il est exact que Properce modifie son regard sur l'héroine de la passion malheureuse, devenue une réprouvée de Rome (p.601). Le commentaire explicite bien les données topographiques et toponymiques, ainsi que les éléments d'archéologie sabine (p.617 sqq.). Les réminiscences homériques, pour la teichoscopia, et les échos de la mythologie tragique (notamment dans le monologue des v.31-66, p. 643 sqq.) sont bien éclairés par un florilège de confrontations, et des mises au point lexicographiques. De même on appréciera l'analyse minutieuse du virgilianisme des v.65 sqq. (p.681 sqq.); la fin du poème illustre bien (v. 73-78), avec les Parilia, la permanence de l'archéologie religieuse, conjugée avec la veine tragique et épique de la tradition gréco-romaine. Le commentaire de l'élégie V (p. 716 sqq.), melédiction contre la lena, souligne bien la continuité "érotique" avec le cycle de Cynthie, mais ne néglige pas pour autant l'éclairage socio-juridique (p.717): les auteurs exploreront la richesse de la tradition littéraire; on regrettera que les nombreuses références à l'ars amatoria ovidienne ne servent pas toujours à mieux cerner le meretricium de la tradition comique latine, sauf pour le "cliché" de la lena auara (p. 775-778). La richesse des discussions lexicographiques, fort pertinentes, dissout un peu la netteté des analyses littéraires. On s'achemine alors au commentaire des grandes élégies du t. II, surtout l'élégie d'Actium (IV.6) et le message d'outre-tombe de Cornélie (IV.11).

L'élégie d'Actium dépasse la veine de l'hymne callimachéen à Apollon (p. 803 sqq.), et le commentaire sur L'Apollon Actiacus domine bien toute la poésie "apologétique" pro-augustéenne. Peut-être faut-il soumettre à la critique l'idée d'"intentions obscures ou perfides" - dans les nuances (p.807), sur le rôle central d'Apollon. Connaissant les Saturnales de Macrobe, et surtout pour l'archéologie sabino-romaine, les commentateurs ne tirent pas tout le parti souhaitable du texte (I.17 sqq.) sur la multiplex interpretatio du dieu, archer victorieux et chantre de la gloire contemporaine. On peut aussi regretter que les repères oecuméniques du rêve impérialiste (v.77 sqq.) soient sous-estimés, voir notre Siècle d'Auguste (p.136-139). Le commentaire montre bien (p.838-839 surtout) la dévaluation stratégique d'Agrippa, mais est-il sûr que le raccourci virgilien d'Agrippa uentis et dis secundis soit une louange totale? Il est un peu fâcheux que la bibliographie ignore l'Apollon de J. GAGÉ.

La reprise, mémorielle, du cycle érotique de Cynthie (IV.7 et 8) inspire de bons commentaire, dominés par "la consistente presenza di Cythia nel IV libro" (p.904). Cynthie morte (IV.7.13) est réintégrée par IV.8 dans son enracinement galant: la "folle nuit des Esquilies", plongée diachronique dans le passé d'une grande passion, forme diptyque avec les promesses d'éternité de IV.7, cautionnées par toute une ecphrasis du monde infernal et par toute une série d'exempla mythologiques - avec mainte référence à l'Hadès homérique (p.961 sqq.). L'élégie IV.8 trahit une inflexion, du prélude "étiologique" (p. 1008 sqq.) à la biographie érotique; elle se révèle riche de connotations sociologiques, fort bien relevées, sur les modes capillaires et autres (p.1039 sqq.), et sur la convivialité galante (v.35 sqq., p.1054 sqq.): l'époque attend l'Ars amatoria. Les références topographiques à l'Esquilin sont bien élucidées: on souhaiterait néanmoins qu'à cette date (16 av. J.-C) la présence de Mécène, le seigneur de l'Esquilin, bien dégagée (p.1014-1015), dépassât les références topographiques.

Les élégies IX et X se situent dans l'itinéraire à la fois étiologique patriotique : elles chantent l'Hercule Romain, lié au culte de l'Ara Maxima, et la réhabilitation romuléenne du Jupiter Férétrien. Si l'Ara Maxima, à la différence du temple primitif de la Velia, ne figure pas dans le catalogue des restaurations de RG, XIX, l'archéologie de Tite Live, I et le l'Ènéide, VIII y supplée, dominée par la légende du brigand Cacus, aition de l'Autel (p.1105 sqq.): on souligne à juste titre la différence entre L'Hercule virgilien et le héros propertien (p.1110). Toute l'érudition des antiquaires est bien exploitée, comme est bien analysée "la diffusione del culto nell'ambiente augusteo"; les implications du culte avec la propaganda anti-antonienne (p.1112) sont nettes, comme le lien avec le culte, très politique, de la Fortuna redux; les entreprises poétiques d'héroisation du princeps, dans les Odes romaines d'Horace (voir p.1114) sont toutefois minorées. Le détail du commentaire apportera toutes les confrontations textuelles souhaitables, qui éclairent la mythification de la Rome pastorale archaique, et des antiquités sabines. Il est dommage que l'archéologie religieuse de l'"Hercule romain" néglige l'étude fondamentale de J. BAYET.

La même remarque vaudrait pour le commentaire de l'élégie X, riche au demeurant de précisions sur la politique religieuse d'Auguste, sur ses "restaurations", ainsi que sur la topographie du sacré contemporain. L'ouvrage se termine avec le commentaire de la brillante élégie XI, centrée sur le message posthume de Cornélie. Les mises au point prosopographiques (p.1347-1348: commentaire des v.55-56) sur la personnalité et l'entourage familial de la fille de Scribonie sont probantes. On acceptera l'exégèse de l'intervention d'Auguste (v.60) comme "reazione emotiva" (p.1351 sqq.) - avec les nuances qui s'imposent sur la "divinité vivante" du prince... dont l'émotion n'est pas si invraisemblable. Les mythes d'outre-tombe (p.1285 sqq.) font l'objet d'une synthèse précise, qui associe l'Alceste d'Euripide à l'Eurydice virgilienne, mais dans le détail des exégèses, on appréciera que le topos tragique laisse à l'élégie, associée au pathos maîtrisé, sa romanité: pour le sens de la continuité gentilice et de la "gloire", comme pour la perennité de l'amour conjugal. On a exploré toute la problématique du mariage romain et l'importance de la législation familiale d'Auguste (p.1269-1270; p.1359-1360 - plus précis sur les privilèges légaux de la lex de maritandis ordinibus). L'importance de l'armorial et du traité des vertus nobiliaire est bien soulignée, et notamment dans les multiples mentions de la gens Cornelia (p.1280-1281); p.1322 sqq.) Tous les Scipions, exempla privilégiés de l'annalistique, immortalisés par le célèbre Tombeau de la Porte Capène et son épigraphie édifante, sont évoqués ici et là dans le commentaire de l'élégie XI. Les auteurs ont bien vu cette influence des elogia aristocratiques, dans les v.60 sqq. Si ces "éloges" du Tombeau ne concernent que les mâles de la gens, la vertu exemplaire de Cornelia, la matrone uniuira valorisée par toute l'idéologie augustéenne, se détache fort bien de la fin du message d'outre-tombe - voir les p.1281-1282 du commentaire. Tous les problèmes de la fides conjugale, de la continuité de la race, du veuvage (v.75 sqq., p.1378) et du remariage (v.91-94), ont été bien éclairés. Le Commentaire, ici comme auparavant, tient la balance égale entre l'héritage poétique gréco-romain, plus vaste que le "callimachisme", et la romanité: l'empreinte du mos maiorum et la mémoire écrite des annales, mise en honneur par l'"organisation de l'opinion".

Cette monumentale édition commentée se recommande d'abord par la précision lexicographique, consacrée par un index des "parole notevoli"; le commentaire lexicographique ne se dissocie pas de la discussion critique sur les "variantes" textuelles, souvent très probante, par ex. pour Nile, tuus de VIII.39. On louera globalement l'utilisation de l'érudition historique, surtout les références à l'archéologie religieuse, à l'étiologie des cultes, avec quelques réserves bibliographiques - pour Apollon et pour Hercule. Même réserve pour l'image, très minorée, des débates théoriques de l'époque, dominée par la tension entre le lyrisme "épicuréisant" du lyrisme érotique et la quête d'une estétique de la grandeur. Le caractère sommaire des remarques sur Mécène et sur le "mécénat", rancon de lacunes bibliographiques, est seul à déplorer.

Jean-Marie André


Copyright © 2015 by Verlag Traugott Bautz